Troquer le pape pour Chenier

juin 6th, 2011 § 1 comment

N’ayant pas réussi à me rendre sur Jean-Paul II, je me suis repliée sur Chenier. Je vous épargne les détails de mes négociations auprès de l’Église Our Lady of Czestochowa sur la rue Hochelaga afin d’essayer d’obtenir l’autorisation d’intervenir sur le monument de Jean-Paul II. Honnêtement, je préférais de loin aller me coller à Chenier.

photo: pablo guay

photo: pablo guay

Ce que je n’avais pas anticipé par contre, c’était la minceur de sa constitution. Il s’agit d’un monument construit en feuilles de cuivre. Lorsque j’ai posé mon pied près du sien, le personnage a vacillé légèrement, ce qui a donné le ton à la prochaine heure que j’allais passer en sa compagnie.

Les deux choses qui m’ont le plus marqué durant cette heure sur Chenier, à part l’effort physique monumental que ça m’a demandé, les vertiges occasionnels et la chaleur torride qui s’emparait de moi (quelqu’un m’a dit qu’il faisait 21 degrés, j’aurais cru qu’il en faisait 31), est en premier lieu l’odeur du monument, difficile à décrire mais prégnante, et la vue imprenable sur la ville dont il jouissait.

Au sujet de l’odeur, j’avais déjà remarqué une sensation particulière lorsque je me suis approchée de Vauquelin. Évidemment les matériaux sentent, respirent, dégagent une odeur. Quand tu as le nez collé dessus, ça devient inévitablement une expérience olfactive . Les odeurs des différents monuments ne se ressemblent pas, un peu comme pour les humains. Mais l’effluve d’un lieu, d’un personnage accentue et imprègne notre expérience de celui-ci.

Pour la vue sur la ville, je me suis dis qu’il était chanceux d’occuper cet espace, haut perché au coeur de la vielle ville, pouvant admirer les va-et-vient des travailleurs et travailleuses sur les multiples chantiers de construction à ses pieds, les toits escarpés du Vieux-Montréal, prenant le pouls de la circulation dans tous les sens. C’est révélateur à quel point les perspectives changent lorsque l’on monte à la verticale sur une surface, le point de vue du niveau des yeux de ce monument (14 pieds) donne accès à un tout autre paysage qu’au niveau du sol; il entre-ouvre à de nouvelles possibilités…

Brandissant des drapeaux reconfigurés composés de harfangs des neiges, de talons hauts et de cornets de crème glacée, je dois dire que l’intervention a duré aussi longtemps qu’il m’était physiquement possible de continuer. À un moment où j’étais accotée contre le bras du personnage, où on sentait les vibrations du vent qui traversaient le monument, je me suis imaginée tombée au sol avec un bout de bras arraché, monument brisé, corps fracturé. J’ai remarqué que le mousquet de la statue, une genre de carabine, avait déjà foutu le camp, partie, disparue et j’ai compris que ce monument était fragile, que les monuments ne sont pas inébranlables, que la matière n’est pas infaillible et que la chute de ce corps, sous le poids du mien, pourrait m’entraîner vers un triste sort. Assoiffée, épuisée, les muscles raidis, j’ai demandé qu’on me rapporte l’échelle. La performance avait durée une heure. Je suis redescendue.

 

photo: pablo guay

 

Merci à Myriam Jacob-Allard pour sa participation, à Pablo Guay et à Janick Rousseau pour la documentation.

 

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